De quoi la crainte des fausses nouvelles est-elle le symptôme ?

Depuis le surgissement du mouvement des Gilets Jaunes nous avons vu tout un discours se mettre en place à propos des fake news qu’il pouvait comporter et de leur dangerosité pour le débat public. Sa propagation sur les réseaux sociaux, Facebook en particulier, a effectivement pu engendrer la publication et le partage d’informations erronées comme, par exemple, à propos du pacte de Marrakech. Le terrible attentat de Strasbourg a d’une certaine manière été le climax de ces accusations de cheval de Troie des fausses nouvelles dans la mesure où certains des gilets jaunes les plus médiatiques ont fait résonner le refrain d’une attaque organisée par l’Etat pour mettre à mal le mouvement.

Que ce soit par le biais de théories désignées comme complotistes ou tout simplement par la propagation de mensonges éhontés, ces procédés ont prestement été utilisés pour décrédibiliser l’ensemble du mouvement des Gilets Jaunes – comme ce genre d’attaques à pu servir par le passé pour mettre à mal tout un mouvement de remise en cause de l’ordre établi. Plutôt qu’ergoter des heures durant sur le bien fondé ou l’absurdité de telles théories à la fois complotistes et porteuses de confusions, il me parait plus intéressant et pertinent de s’interroger sur ce qui peut générer ces fausses nouvelles et de quoi celles-ci sont révélatrices. Il me semble, en effet, que la caricature des forces de l’extérieure (russes pour ne pas les citer) agissant pour manipuler les masses est grotesque et que ces fausses nouvelles ainsi que leurs succès nous en disent très long sur les médias dits dominants et leur manière de procéder.

L’ère de la défiance

Il est effectivement aisé et assez confortable de se placer dans une forme de posture morale de chevalier blanc de la vérité pour fustiger la propagation de telles fausses nouvelles. Il est, je crois, plus complexe mais également bien plus pertinent de s’interroger sur le succès de telles fausses nouvelles et de ce que celui-ci nous dit sur notre société. Nombreux sont les analystes à expliquer leur propagation par la seule émergence des réseaux sociaux et la possibilité inhérente de propager des informations virales sans que les personnes ne prennent la peine de vérifier leur véracité. Il serait absurde à mon sens de nier ce poids des réseaux sociaux mais il serait tout autant absurde de limiter l’explication des fausses nouvelles aux seuls Twitter, Facebook et autres Snapchat.

Je suis effectivement intimement persuadé que le succès de tels procédés en dit bien plus long sur les médias dominants de ce pays que sur les personnes qui croient dans ces nouvelles. Ne faut-il pas y voir un révélateur de la défiance grandissante à l’égard des médias dits classiques ? Si les multiples théories toutes plus loufoques les unes que les autres paraissent crédibles c’est peut-être parce que de leur côté les médias dominants ont propagé depuis des années à grand renfort d’éditos enflammés des fausses nouvelles devenues vérité générale dans leur bouche – au choix le néolibéralisme est l’horizon indépassable de l’humanité ou il y a un problème avec les musulmans en France (ce qui revient peu ou prou à citer l’ensemble des unes du Point). Cette adhésion aux vérités alternatives pour reprendre l’expression de Donald Trump n’est finalement que le révélateur du fourvoiement des médias classiques qui, à force de mentir comme des arracheurs de dents, ont légitimé le mensonge.

Du flash totalitaire à l’inquisition généralisée

Invité à revenir sur les jours qui avaient suivi l’attentat effroyable ayant frappé Charlie Hebdo en janvier 2015, Emmanuel Todd (auteur d’une enquête sociologique qui a suscité des remous à propos de la marche en soutien à Charlie Hebdo) avait alors utilisé l’expression de flash totalitaire pour décrire cette période. Par cette expression, qui avait choqué, il entendait décrire le fait que toute personne qui n’allait pas dans le sens de la doxa à ce moment était clouée au pilori. L’insistance avec laquelle certains des médias dits dominants s’entêtent à fustiger les fausses nouvelles en faisant entrer dans cette catégorie tout et n’importe quoi (du mensonge à une position alternative à la leur) n’est pas sans rappeler cette époque, à ceci près que l’inquisition qui n’était alors que momentanée est désormais permanente.

A ce titre, il n’y a pas meilleur exemple que le foisonnement de site « Décodeurs » qui se prétendent détenteur de la vérité et dont le Décodex du Monde est assurément la forme la plus aboutie. Derrière la guerre aux fausses nouvelles c’est en réalité une bataille aux positions divergentes qui se fait jour comme lorsque le journal Fakir s’est retrouvé dans l’index du Monde parmi les sites non recommandables. Plutôt que de s’attaquer frontalement au problème des fausses nouvelles – ce qui suggérerait de dégager un certain nombre des éditorialistes qui siègent dans les médias dominants – lesdits médias se contentent bien plus assurément de tenter de réduire au silence toutes les voix discordantes pour mieux préempter la légitimité de l’information et donc se définir comme les seuls organes défenseurs de la vérité. Il va sans dire que ce dévoiement du journalisme à des fins de propagande est, à mes yeux, bien plus grave et dérangeant que la propagation des fausses nouvelles qui est elle-même un fléau. Plutôt que de déplorer que les personnes croient à ces fausses nouvelles, il serait bien plus pertinent de s’intéresser aux tendances profondes qui font que cela arrive. Après tout cela n’est guère surprenant, quand le sage montre les défaillances des médias dominants, l’éditocrate regarde et maugrée contre le vil peuple qui n’est pas assez intelligent.

Crédits photo: Next INpact

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