A une époque pas si lointaine, il était de bon ton de rapprocher la Grèce de l’Espagne. Les médias allemands, à commencer par le tabloïd Bild, se plaisaient à ranger les deux pays dans ce qu’ils appelaient le « club med » de manière méprisante et hautaine. Si les deux pays ont souvent été rapprochés, c’était, au début, eu égard à leur situation budgétaire. L’Espagne comme la Grèce ont en effet bénéficié d’une « aide » de la Troïka (BCE – Commission Européenne – FMI) pour obtenir des fonds en échange desquels les pays ont dû mettre en place de très dures politiques austéritaires aux conséquences désastreuses pour les populations des deux pays, en particulier pour les plus pauvres. Toutefois, si l’on a continué pendant quelques temps de rapprocher les deux pays c’est bien plus parce que, à la fois dans la péninsule ibérique et dans le pays hellénistique, ont surgi des mouvements politique farouchement opposés à l’austérité et qui ont été soit en passe de prendre le pouvoir (Podemos en Espagne bien que cela reste à nuancer) soit ont pris le pouvoir (Syriza en Grèce).
Nous avons alors pu voir un espoir poindre, celui de la création d’une coalition anti-austérité en Europe. Malheureusement, Alexis Tsipras et Syriza ont rapidement capitulé sans même livrer de réel combat face à l’UE et Podemos a très rapidement dit qu’il n’avait pas pour ambition d’entrer dans un bras de fer. Il me semble qu’aujourd’hui encore l’on peut faire un parallèle entre les deux pays mais pas pour les mêmes raisons. Je crois en effet, pour paraphraser Marx et Engels, qu’en termes de stratégie, un spectre hante les indépendantistes catalans, celui de Syriza. Il ne s’agit pas ici de donner un avis (qui serait bien peu pertinent comme je l’ai dit hier) sur la question de l’indépendance de la Catalogne mais bien plus de tenter une analyse comparée des erreurs stratégiques de Syriza et des indépendantises catalans, qui semblent fortement se rapprocher.
La fuite en avant comme procédé
D’un point de vue stratégique, Syriza et les indépendantistes catalans se distinguent par le même procédé qu’ils ont utilisé (à leur corps défendant sans doute) à savoir une forme de fuite en avant absolument suicidaire si elle n’est pas pensée et savamment élaborée – nous y reviendrons plus tard. Dans un cas comme dans l’autre, la tension est progressivement montée d’un cran répondant, je crois, à la théorie de l’engagement. Théorisée pour la première fois par Kiesler et Sakamura celle-ci explique qu’un individu refusera souvent de s’arrêter une fois qu’il s’est engagé dans une voie, quand bien même il se rendrait compte que celle-ci est mauvaise. Les deux personnes suscitées explique que la notion d’engagement peut donc former une explication du changement d’attitude qui prend le contrepied des approches de persuasion puisque les attitudes deviennent une conséquence du comportement et non l’inverse.
Dans le cas de Syriza cette fuite en avant a été manifeste au cours des négociations menées par Tsipras et Varoufakis au sein du Conseil Européen et a connu son point d’orgue avec l’organisation du referendum par Alexis Tsipras lors duquel le fameux Oxi (non en grec) l’avait largement emporté et fait croire à une première brèche dans cette UE austéritaire. Pour les indépendantistes catalans, cette fuite en avant est encore plus claire. Referendum réalisé en dehors de la légalité (et réprimé de manière scandaleuse), discours de défi à Madrid, proclamation de l’indépendance dans la foulée, toute la séquence à laquelle nous avons assistée récemment est la définition même d’une fuite en avant irraisonnée et, il me semble, irrationnelle.
Le cruel manque de vision stratégique
Parler de fuite en avant, ce n’est pas simplement décrire un enchaînement de faits mais bien plus analyser ce que nous dit cet enchaînement et comment il a été mené. Les éléments que j’ai cités plus haut comme preuve de fuite en avant pourraient très bien faire partie d’une stratégie globale d’escalade pensée et réfléchie. Il n’en a pourtant rien été. Dans un cas comme dans l’autre, ce qui est le plus marquant c’est l’absence totale de vision stratégique et de moyen-terme. Il est d’ailleurs assez dramatique d’avoir vu Syriza hier, de voir les indépendantistes catalans aujourd’hui, se lancer dans des combats aussi durs sans avoir réellement préparé intellectuellement et stratégiquement leurs armes en cela que ça dénote d’un certain recul de la bataille des idées (seule à même selon moi de faire avancer les choses) au profit d’éructations et de postures politiciennes.
Le parallèle entre les deux mouvements est flagrant lorsqu’on étudie ce à quoi ils étaient prêts pour obtenir gain de cause. L’Union Européenne (l’Allemagne en tête) d’une part et l’Espagne d’autre part ont montré qu’elles avaient murement réfléchi et pesé les pours et les contres avant de se lancer dans le bras de fer. Dans les deux cas, elles étaient prêtes à aller au bout de la logique. Dans le cas de l’UE ça a été le brandissement de la menace d’exclure la Grèce de la zone euro et de l’UE, dans celui de l’Espagne ça a été l’utilisation de l’article 155 de la Constitution. A l’inverse, Syriza et les indépendantistes catalans n’ont jamais été prêts à aller jusqu’au bout ou ne serait-ce qu’à brandir cette menace puisque la vision stratégique leur faisait défaut. Syriza n’a jamais menacé de quitter purement et simplement l’UE (ce qui l’aurait, selon moi, placé en position de force) et les indépendantistes catalans ont toujours louvoyer et jamais affirmé leur indépendance pure et dure (la déclaration d’indépendance n’était de facto qu’un simulacre). En se refusant cette possibilité de menace, les deux mouvements ont signé leur défaite avant même que le combat ne commence et ont fini par être pris à leur propre jeu par l’UE et l’Espagne qui les ont surpris parce qu’elles avaient une vision stratégique.
Finalement, on le voit, le parallèle me parait clair et évident. Il convient, néanmoins, d’attendre de voir comment évolueront les choses avec les élections prochaines en Catalogne mais il y a de fortes chances, selon moi, que l’on aboutisse à un résultat similaire à ce qu’il s’était passé en Grèce. Alexis Tsipras avait alors été contraint de convoquer de nouvelles élections (un peu comme les indépendantistes catalans sont contraints par Madrid de retourner devant les urnes) qu’il a certes alors remportées mais avec un taux d’abstention monumental et la nécessité de s’allier avec les souverainistes de droite de l’ANEL. Il s’agissait en somme d’une victoire à la Pyrrhus pour lui, chose qui pourrait se répéter au soir du 21 décembre. Eternel recommencement ou rupture dans la comparaison, nous le saurons dans un mois et demi.
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