La directive des travailleurs détachés, symbole des failles de l’UE

Il y a quelques jours, les 27 pays de l’Union Européenne se sont réunis – le Royaume-Uni n’était pas convié en raison du vote de juin dernier sur le Brexit – pour tenter de réenclencher la machine européenne selon l’expression consacrée. Après le discours crépusculaire sur l’état de l’union prononcé par Jean-Claude Juncker, ce sommet n’a semble-t-il abouti à rien de concret alors même que tout le monde s’accorde à dire que l’UE est au milieu de plusieurs crises qui pourraient bien finir par la mener à l’éclatement. Le Premier ministre italien a d’ailleurs fustigé un sommet qui n’a été qu’une « occasion perdue » selon ses termes.

Et pourtant, à l’issue du vote britannique de fin juin, tous les dirigeants européens ou presque s’exclamaient la bouche en cœur qu’il fallait des changements profonds pour sauver l’Union. La torpeur de l’été a, semble-t-il, chassé ces quelques velléités pour refaire place à l’air de Lampedusa poussé à l’extrême : il faut que rien ne change pour que rien ne change. L’été et la rentrée n’ont pourtant pas été avares en sujets de questionnement pour l’UE entre le refus d’Apple de payer les 13 Milliards d’euros dus à l’Irlande et polémique sur les travailleurs détachés un peu partout sur le continent.

L’Europe sociale, quelle Europe sociale ?

Pour défendre l’UE face à ces, de plus en plus nombreux, contempteurs, beaucoup affirment que l’Union a apporté paix et prospérité. Ils ajoutent qu’un retour en arrière conduirait à un retour en force des nationalismes et des tensions. Je crois, au contraire, que c’est l’Union Européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui qui est le meilleur terreau des nationalismes. Ne voit-on pas prospérer partout en Europe les mouvements extrémistes ? A force de mettre les peuples en concurrence sans créer de destinée commune, cette Union Européenne a complètement dévoyé l’idéal européen qui est, je pense, encore largement répandu. Mais mettons-nous d’accord, l’UE telle qu’on nous la présentait était censée apporter la prospérité et augmenter le niveau de vie dans chacun des pays. L’UE telle qu’elle existe met en concurrence le travailleur polonais qui va vivre d’un salaire de misère et qui sera plus rentable que les salariés français, allemands ou britanniques.

On nous avait promis une élévation du niveau de vie, nous voilà face à un nivellement par le bas de toutes les normes : sociales, environnementales, fiscales. On nous parlait de solidarité, nous voilà mis face à la concurrence la plus exacerbée qui soit si bien que les différents pays de l’Union rivalisent pour accorder la fiscalité la plus avantageuse qui soit aux grands groupes. L’exemple de l’Irlande et d’Apple est à cet égard criant puisque Dublin refuse que les 13 Milliards d’€ qui lui sont dus soient versés. A terme le résultat est facile à deviner et il s’esquisse déjà petit à petit dans toute l’Union : un recul toujours plus grand des normes sociales avec des travailleurs sommés d’accepter les coupes drastiques dans leurs revenus. Les grands gagnants de ce petit jeu sont toujours les mêmes, les firmes transnationales et les grands possédants.

Inventer un chemin !

Faut-il pour autant se résigner à cet horizon ? Celui d’une lutte entre peuples qui serait nécessaire ? A écouter le débat public il semblerait que seule cette voie soit possible. Baignant dans un manichéisme primaire il nous faudrait donc choisir entre cette UE néolibérale et le retour aux nationalismes avec dans les deux cas une compétition entre les travailleurs européens. C’est tout le sens de la phrase de Jean-Luc Mélenchon à propos des travailleurs détachés, lui qui a affirmé que « l’Europe qui a été construite, c’est une Europe de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu’arrive un travailleur détaché, qui vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place ». Voler le pain des autres travailleurs, voilà comment parle le soi-disant héraut de la France insoumise qui se dit à la fois humaniste et internationaliste, comme si le travailleur polonais, hongrois ou roumain n’était pas encore plus exploité que les autres.

Il nous faut, je pense, sortir de toute urgence de cette mâchoire d’airain qui se referme sur nous sans que nous daignons bouger le moindre petit doigt. Il est nécessaire de réaffirmer dans le débat public une position solidaire et fraternelle qui permettrait non pas de construire une Europe violente mais bien une Europe de la coopération qui serait profitable à tous les peuples. Aussi longtemps que nous nous attarderons sur les compétitions entre travailleurs de différentes nationalités, nous oublierons que la compétition se situe bien plus entre les grands groupes et les travailleurs qu’entre les travailleurs. Dans le cas des travailleurs détachés je ne crois pas que la seule solution soit de fustiger les « voleurs de pains ». A l’inverse, je crois fermement que la solution passe par un alignement social au sein de l’Union. La différence entre les travailleurs locaux et les travailleurs détachés réside principalement dans le fait que les cotisations sociales sont bien moindre pour ces derniers. Instaurons une taxe qui permettrait d’égaliser les charges sociales dans les pays où le travailleur détaché revient moins cher à son employeur et servons-nous de la manne financière ainsi dégagée pour créer un fonds de développement dans les pays aux normes sociales les moins avancées pour qu’un rattrapage se mette en place.

L’Union Européenne est malade, très malade et ce ne sont pas des palliatifs qui changeront radicalement les choses. Il est grand temps de repenser le projet européen et de sortir de l’ornière dans laquelle l’on tente de nous enfermer. L’UE néolibérale ou le retour aux nationalismes n’auront qu’une seule conséquence : la mise en concurrence des travailleurs pour le plus grand bonheur des possédants. La nuit devient chaque fois un peu plus noire, les étoiles un peu moins nombreuses. Faut-il pour autant baisser les bras ? Je ne le crois pas. Comme Hannibal Barca en son temps, trouvons un chemin et si nous n’y arrivons pas, créons en un.

2 commentaires sur “La directive des travailleurs détachés, symbole des failles de l’UE

  1. Une « faille » de l’UE ? L’Europe a été construite à la manière de maçons qui bâtiraient une maison en commençaient par la cheminée. Comme les maçons n’aiment pas le travail mal fait, ils ne construiraient pas un tel ouvrage. Et ne concevant pas les les bâtisseurs de l’Europe politique et économique comme des intellectuels irréfléchis, la faille du social a, pour moi, été sciemment pensée, en tout cas dès les années 70, au moment où les dirigeants européens adoptaient la voie libérale comme unique option économique; une Union Européenne où la concurence en est le fondement, pays contre pays, travailleurs contre travailleurs.On n’a rien à attendre de cette Europe – là. Ni de frontières comme on les a connues. Une Europe sociale, oui, mais il ne faudra pas attendre des politiciens élus pour l’obtenir, c’est aux peuples européens de la conquérir

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