La Nuit Debout n’est qu’un début

« Aujourd’hui nous changeons les règles du jeu ». Peut-être que d’ici trois mois cette phrase sera oubliée par tout le monde et reléguée aux oubliettes. Il se pourrait aussi que dans cent ans les manuels d’histoire parlent de cette phrase comme de la première pierre de l’édifice insurrectionnel qui semble se mettre en place en France actuellement. Cette phrase a été prononcée par Frédéric Lordon ce jeudi 31 mars lors de son discours introductif à la Nuit Debout sur la place de la République. Ce rassemblement ayant pour but de faire converger les différentes luttes qui traversent la société s’inspirait sans s’en cacher du mouvement des Indignés espagnols ainsi que l’a montré le slogan « El pueblo unido jamás serà vencido » – le peuple uni ne sera jamais vaincu en version française – entonné à de nombreuses reprises dans la soirée.

Cette soirée, placée sous le signe de la fête et de la lutte, n’est que le début du mouvement pour ses instigateurs – l’autorisation de la préfecture s’étend, en effet, sur trois jours. Pour paraphraser Churchill, la mobilisation contre la loi El Khomri n’est pas la fin, ni même le début de la fin, tout au plus est-elle peut-être la fin du début. Personnellement, j’y vois simplement le commencement d’un mouvement, d’un rassemblement plus vu en France depuis de nombreuses années voire décennies, à savoir l’unification de toutes les luttes : des salariés précarisés aux étudiants angoissés, des chômeurs embourbés dans la fange de la pauvreté aux retraités qui peinent à survivre, tous les opprimés de notre peuple commencent à s’unifier, pour le plus grand malheur et la plus grande hantise du pouvoir. Et quel symbole plus puissant que cette place de la République, cette Res Publica, ce bien commun pour commencer la lutte ?

 

Les agneaux devenus rugissants

 

« Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement. « Commence », ceci est important. La lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l’éveille et elle provoque la suite. La suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif ». Voilà ce qu’écrit Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe et c’est précisément ce que nous sommes en train de vivre. Les décors sont en train de s’écrouler, la loi El Khomri aura été l’infamie de trop, la gourmandise de trop d’un pouvoir politico-économique qui se retrouve bien mal en point face à la réaction du peuple. Nous voilà éveillés, il sera dur de nous rendormir. Nous qui sommes d’habitudes si dociles et si malléables, nous contentant de chouiner parfois de République à Nation comme l’a si bien dit Frédéric Lordon nous voilà devenus des agneaux aux dents acérées.

Non nous ne reculerons plus, non nous ne baisserons plus la tête, la Nuit Debout est un symbole, celui d’une partie de la population opprimée qui a décidé de relever la tête et de ne plus accepter les petits marchandages et les petites revendications. Revendiquer c’est déjà capituler puisque le mouvement de revendication revient à accepter le cadre préétabli que nous imposent nos dirigeants. Ce que nous exprimons désormais ce ne sont plus des revendications mais des affirmations ! Nous ne voulons pas améliorer ce système vicié où les règles sont pipées mais nous voulons changer de système. Le système n’est pas en crise – ce qui sous-entendrait qu’il faudrait panser ses plaies – c’est le système et le monde que l’on nous propose qui sont néfastes. Ils nous traiteront de fous et nous acceptons cette dénomination si par fous il faut entendre personnes qui pensent différemment. Ce qui s’est produit avec la scélérate loi El Khomri c’est bien l’apocalypse avant la catastrophe – si on prend les sens grecs des termes à savoir la révélation avant le renversement. Plus rien ne sera comme avant, que les Hollande, Valls, Macron, et tous les dirigeants de tous bords l’entendent bien.

 

La révolte comme ciment

 

Si Le Mythe de Sisyphe nous aide à comprendre l’absurde qui s’abat sur nous, c’est dans une autre œuvre de Camus que nous trouvons la phrase qui résume le mieux le phénomène que nous voyons se dérouler, L’Homme révolté livre dans lequel le prix Nobel déclare : « Je me révolte donc nous sommes ». La révolte qui nous unit tous concourt à transformer le je en nous et à créer un mouvement unitaire qui rassemble des personnes que rien ou presque ne prédestinait à s’unir alors même qu’un commun indivisible les rassemble tous dans le système économique qui est le nôtre : la condition salariale, condition essentielle du capitalisme. Quand les étudiants voient dans la situation précaire de leurs parents leur propre avenir, un avenir qui n’a rien de joyeux, quand ma génération n’a plus l’ambition de mieux vivre que ses parents mais au mieux d’avoir la même vie alors le désespoir et la révolte gagnent du terrain. La jonction désormais faite entre étudiants, lycéens, salariés et retraités, bref entre toutes les victimes d’un capitalisme néolibéral sauvage, est le ciment le plus solide à notre mobilisation.

Plus rien ne peut nous faire reculer désormais car nous n’avons rien à perdre. Ce nouveau monde que nous souhaitons voir se mettre en place n’est pas une option pour nous mais bien une nécessité. La pauvreté et la misère nous acculent et c’est bien la raison pour laquelle ni les grenades, ni les menaces ne nous feront reculer. Ce qui se joue en ce moment ce n’est ni plus ni moins qu’une conception de la vie et pas simplement un débat économique. Aussi la mobilisation n’est-elle pas simplement dirigée contre la loi travail mais bien contre tout le système en place. La loi peut être abrogée, Manuel Valls peut être remercié, cela ne changera rien car la loi travail est le déclencheur pas la cible. Cette révolte n’a pas vocation à être violente, « sans armes, sans haine et sans violence » comme l’ont chanté HK & les Saltimbanks sur la scène ce soir. Evidemment que nous nous défendrons si la violence est utilisée contre nous mais c’est une révolte citoyenne qui s’enclenche ce soir.

J’étais place de la République ce soir, j’y ai vu des jeunes et des moins jeunes, des gens plus ou moins colorés, en bref j’y ai vu la France, cette France opprimée, précarisée, mise de côté mais cette France qui a décidé de ne plus se laisser faire et de lever la tête. Peut-être que ce mouvement n’aboutira à rien mais je suis intimement persuadé que quelque chose est née ce soir de fin mars 2016. Depuis les étoiles Victor Hugo devait sans doute regarder avec bienveillance les « barbares de la civilisation » laisser tomber leurs chaines mentales et se lancer dans une lutte digne des Misérables. Ce n’est que le début, la lutte sera longue, le mouvement connaitra sans doute des revers et des reflux mais au cours de cette soirée grisâtre et pluvieuse, le bras gauche levé et le poing serré, nous avons sans doute commencé à rallumer les étoiles – étoiles qui étaient éteintes depuis bien trop longtemps.

9 commentaires sur “La Nuit Debout n’est qu’un début

  1. Une telle énergie hier soir à République, c’est incroyable et les livres d’Histoire parleront de ce mouvement. Très bel article, bien écrit et enthousiaste, ça fait plaisir à lire.
    Amicalement,
    Rémi

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  2. Nous qui sommes isolés dans nos campagnes nous sommes attentifs . Oui, peut-être : on en parle depuis si longtemps de l’Evênement , imprévisible et destructeur de l’ancien monde.

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  3. « Nuit debout » oui mais : le démarrage de cette occupation est le fait d’une poignée de carriéristes qui occupent le devant de la scène spectaculaire des fausses luttes, ce que l’on appelle les extincteurs, qui viennent faire rentrer tout le monde à la maison pour aller porter la parole des pauvres à qui on fait accepter l’inacceptable, DAL est une création d’État il y a trente ans pour détruire le comité des mal logés qui devenait trop puissant et occupait des dizaines d’HLM refusant les relogement en taudis ou hôtels de marchands de sommeil, DAL n’a jamais obtenu de véritables relogements, toute leur propagande est mensongère, mais les centaines de personnes rassemblées sur la place ou qui commencent à se rassembler dans les autres villes ne sont pas DAL, et sont sincères, y a ras le bol et vrai désir de trouver des solutions pour influer sur les pouvoirs responsables, donc DAL est débordé pour le moment, sauf si le porte parole de tout cela redevient à nouveau l’extincteur en chef « Jean Baptiste Eyraud » président dictateur à vie de DAL, d’où risque de récupération du mouvement par ses habituels comparses manipulateurs et militants professionnels de l’arc ATTAC-NPA-SUD… pour le moment ils sont débordés… ☺

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  4. Cette fois-ci, notre dirigeant étant étiqueté « de gauche », et compte tenu de son CV (loi renseignement, El Khomri, foirages constitutionnels), je pense qu’il ne pourra pas nous enfumer facilement avec des réformettes. On devient méfiants.

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